dimanche 21 février 2016


LE BONHEUR
 
Le bonheur ? Ah! La bonne heure!
Enfin une vraie question et je vous remercie de ma la poser.
Et ce n’est pas trop tôt !
D’ailleurs, trop tôt c’est de très bonne heure et je ne réponds pas aux questions avant mon réveil qui se situe toujours à  l’heure dite.
Mais si ma façon d’aborder le sujet n’a pas l’heur de vous plaire, permettez moi, à propos d’heure dite, de vous narrer l’anecdote suivante :
Il m’est arrivé, récemment, de demander l’heure à un passant, ayant trop souvent l’habitude de l’oublier.
-          Le bon ou le mal ?  me dit-il
-          Quoi, le bon ou le mal ?
-          Ben oui, le bon heur ou le mal heur ?
-          … ?
-          Ma question n’a pas l’heur de vous satisfaire. Avouez que le bon heur et le mal heur, ce n’est pas la même chose, tout de même! Alors lequel voulez-vous ?
-          Heu…je ne sais pas vraiment. Le bon heur doit être, si je vous comprends bien, l’heur exact, tandis que le mal heur doit retarder ou avancer ? En ce cas je préfère le bon heur.
-          Ah ! vous êtes bien tous pareils ! Ce doit être une question de mode ! Chaque fois qu’on me demande l’heur dans la rue, les gens choisissent toujours le bon et je me retrouve régulièrement avec mon mal heur sur les bras. Mais, permettez-moi d’insister car le mal heur, en quantité raisonnable, ne manque pas de charme, vous devriez essayer.
-          Je vous remercie, mais c’est le bon heur que je vous ai demandé et si vous insistez pour me refourguer l’autre, je vais finir par ne plus être à l’heure à mon prochain rendez-vous !
-          En ce cas, je m’incline. Topez là, Monsieur !
-          Comment ça, topez là ?
-          Topez là, vous dis-je, et au quatrième top, il sera exactement le bon heur.
En quittant ce drôle d’ange, je sentais que l’heure présente valait tous les bonheurs de la terre, à ceci près que « la bonne heure » au féminin semblait me procurait plus d’émotion que « Le bonheur » au masculin.
Ce que je pressentais depuis longtemps devint une évidence alors : Quitte à aimer les mots, j’avais une (peu) sérieuse tendance à préférer les féminins aux masculins, surtout quand les féminins sont au pluriel et les masculins au singulier.
Ainsi le mot « bonheur » exprimait-il pour moi une lourdeur morale et institutionnelle à laquelle je préférais la légèreté frivole des mots « joies, tendresses, folies, liesses, exaltations, et, bien sûr, amours, surtout quand elles sont belles»
Je décidai alors de n’employer dorénavant dans mes prochains écrits que des mots féminins, si possible au pluriel, et de m’habituer progressivement à leur usage exclusif dans mes futures conversations.
C’est dans ces conditions que je me présentai au fameux rendez-vous que mon éditeur, ironie du sort, avait sollicité pour entériner les dernières corrections du manuscrit d’un petit ouvrage sur « Le bonheur » que celui-ci m’avait commandé quelques mois auparavant.
Telle ne fut pas sa surprise quand je lui annonçai que je souhaitais changer la couverture et ainsi remplacer « Au bonheur du jour » par « Aux belles heures de  nuit »
Il devint extrêmement perplexe  quand je lui demandai également de bien vouloir me laisser reprendre et corriger mon écriture afin de supprimer toutes les expressions masculines et les remplacer par des féminines.
-          Mais c’est un changement complet de votre ouvrage !
-          Vous voulez dire : quelques modifications sensibles de ma narration ?
-          Si vous voulez ! mais vous allez peut-être en changer le sens ?
-          Disons plutôt, l’enrichir de nouvelles sensations, sensibilité, sensualités et toutes ces sortes de choses qui, je vous l’assure, changent la vie.
-          C’est très gentil tout ça, mais ces corrections vont vous prendre combien de jours ?
-          Vous voulez dire combien de nuits ? car c’est au cours de celles-ci que tout devient simplement et miraculeusement féminin. Rassurez vous, une seule et belle nuit me suffira. Vous aurez mes feuilles manuscrites corrigées dès l’ouverture de votre Maison, à la première heure.
-          Ah la bonne heure !
-          Vous voyez, vous aussi, vous ne parlez déjà plus de bonheur, ce mot que nous allons rayer définitivement, vous et moi, de nos conversations futures.
-          Et bien, bonne nuit.
-          Bonne nuit, ma chère amie.

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